Défaire la fiction extrémiste

J’aime toujours citer Adam Curtis, journaliste pour la BBC, qui très tôt, grâce aux archives auxquelles il avait accès, a démontré à quel point à un certain moment de l’Histoire, nos personnalités politiques ont été tellement dépassées par la réalité, qu’elles ont commencé à mentir. Elles ont bâti une fiction qui leur convenait mieux et qui pouvait leur faire gagner des votes au passage. Dans son film « HyperNormalisation » il prend l’exemple de la Libye. Ou comment l'administration Reagan, qui souhaitait consolider l'image d'un monde moral où l'Amérique défendait le “Bien” en combattant le “Mal”, a créé de toute pièce la figure du génie du terrorisme de Mouammar Kadhafi. A toutes les époques, les militant.e.s pour la paix, se sont élevé.e.s contre la grande fiction de nos États pour protester contre les guerres. Et de tous temps, ielles ont été criminalisé.e.s pour cela.

Récemment le site “Working Class History” qui recense toutes les révoltes progressistes, rappelait que Jane Fonda a été emprisonnée pour s’être élevée contre la guerre du Vietnam.

Et ces jours derniers ce sont des militant.e.s pour la paix et la libération de la Palestine aux Etats-Unis et ailleurs, qui ont été arrêté.e.s illégalement – 400 personnes lors d’une action de désobéissance civile à New York. Tandis que nos États soutiennent Israël, un gouvernement d’extrême droite dangereux et brutal, les personnes qui s’engagent pour la liberté de la Palestine, et le Cessez-le-Feu, sont de plus en plus criminalisées, et attaquées, par une manne médiatique de droite et d’extrême droite.

La fiction inventée par nos États a aujourd’hui atteint un point culminant. Un point de non-retour. Après l’horreur commise le 7 octobre, nos démocraties ont condamné à juste titre, les actes terroristes du Hamas. Ces crimes innommables et d’une violence rarement égalée, nous ont tous et toutes affecté.es et nous pensons encore aux otages maintenu.e.s en captivité. 

Mais en refusant d’appeler à un Cessez-le-feu à Gaza et en soutenant cette idée de la « légitime défense » d’Israël, nos gouvernements ont encouragé à pratiquer une autre forme de terrorisme, qui consiste à viser sciemment des hôpitaux, des familles, des enfants.  Si bien que nous glissons peu à peu dans une société qui légitime l’injustifiable à sa guise. Une démocratie à géométrie variable. 

Il y aurait selon les États-Unis, soutenus par la France, un massacre légal, et nous devrions nous accommoder de cela. C’est-à-dire que nous devrions regarder des enfants mourir à Gaza sous des bombes, traumatisés, mutilés, ou brûlés par le Phosphore blanc, leurs corps ensanglantés ou broyés sous les gravats. Nous devrions voir des bébés se faire massacrer et des êtres humains privés de nourriture, d’électricité ou d’accès aux soins en nous disant : tout cela est parfaitement ok, puisque c’est de la légitime défense ! Et passer à autre chose.

Stopper une extrême droite en roue libre.

Quand un État crée une telle confusion mentale, et vend des slogans démocratiques derrière des alliances extrémistes, il construit une autoroute pour des récits abracadabrants, et tronqués.

Jamais on n’a vu émerger une telle apogée de mensonges et d’approximations. Dans la déroute, tout est permis. En France toutes les chaînes de Vincent Bolloré, dirigeant connu pour son ancrage à l’extrême droite, ont aidé à édifier une grande fiction, qui sert à polariser l’opinion et à faire grimper l’islamophobie, déjà rugissante - souvenez-vous que nous avons démarré l’année avec un débat sur l’Abaya.

Jamais autant d’éditorialistes d’extrême droite n’ont peuplé les plateaux que ces dernières semaines. Jamais autant de personnes aussi peu qualifiées sur ces sujets, racistes, usant de la désinformation, n’ont eu la parole. A tel point que Damien Rieu, ex-figure de Génération identitaire et candidat Reconquête aux législatives, a déclaré dans un tweet « depuis quelques jours j’ai l’impression d’être un centriste tellement le spectre [médiatique] a basculé ». Comme l’a noté la militante égyptienne pour la cause palestinienne Rahma Zein avec un humour désespéré : « Malheureusement les punaises de lit ne sont pas les seuls problèmes de la ville de l’amour.  La France connue pour son sentiment populaire de « Liberté, égalité, fraternité » semble avoir oublié sa phrase culte, et revenir à la bonne époque de la guillotine. Le racisme est boosté et soutenu par monsieur Vincent Bolloré, dirigeant et actionnaire principal du groupe Bolloré qui a des tentacules dans une grande partie des médias en France.  (…) Le père et son fils sont de grands fans de la déshumanisation des arabes et des africains, instaurant de la haine dans le cœur des français… »

Des horreurs innommables ont été proférées par Raphaël Enthoven, Caroline Fourest ou Céline Pina, éditoraliste de chez Causeur, qui ont affirmé avec aplomb qu’il fallait hiérarchiser les vies et les façons de mourir, pour mieux justifier le massacre d’innocent.e.s palestinien.ne.s.

Le débat qui se devait d’être politique, est devenu religieux. Eric Zemmour, a asséné qu’«il y a un antisémitisme venu des banlieues islamisées qui trouve sa source dans la culture arabo-musulmane, dans le Coran, et manifeste une grande hostilité aux juifs et aux chrétiens. Nous avons importé massivement une population qui était anti-juive depuis mille ans».  C’est à dire qu’au lieu d’analyser correctement le fléau bien réel, qu’est l’antisémitisme en France (je vous conseille le documentaire d’Arte “Histoires de l’antisémitisme”), on a commencé à l’utiliser pour décrédibiliser la gauche, la cause palestinienne et à faire grimper l’islamophobie. Dans ce récit nauséabond toutes les personnes musulmanes sont antisémites (le fameux “antisémitisme couscous” lâché par l’éditorialiste Pascal Perri sur LCI ) la cause palestinienne est elle-même antisémite, et la gauche qui la soutien, intégriste - c’est le message envoyé par nos politiques, qui ont interdit les premières manifestations pour la Palestine.

Dans ce roman de science-fiction islamophobe, la gauche devient l’ennemie jurée du monde civilisé. Les militants pour la liberté de la Palestine sont des suppôts de Satan. Un peu comme les féministes et les militants écologistes sont désormais des criminels de grande envergure , les partisan.e.s d’un Cessez-Le-feu, sont perçus comme des délinquant.e.s. Tandis que les gazaouis sont déshumanisés, réduits à une masse informe, sans noms et sans visages.

Et l’échelle de la vérité, ne cesse de s’inverser.

Le plus inquiétant c’est que des personnes qui, avant le 7 octobre, étaient plutôt progressistes, ont-elles-mêmes plongé dans la psychose et ont commencé à relayer des informations émanant de CNEWS, Europe 1, et toutes les chaînes « infos » de Bolloré. Car il est difficile de trouver des clés pour démanteler cette fiction massive. Il faut savoir naviguer dans les marécages dangereux de l’intox, avoir l’esprit critique, choisir les bons médias, sources, ce qui n’est pas toujours évident. D’autant plus que nos jugements sont souvent altérés, et nous poussent à ne ressentir de l’empathie que pour notre propre communauté, quitte à en déshumaniser une autre, et donc à aller chercher une info qui va nourrir notre rage et nos obsessions. Il existe aujourd’hui un flux constant, permanent de contre-vérités, de désinformations, à disposition. A cause de nos algorithmes, nous pouvons très rapidement tomber dans des réseaux de propagande et de haine. Les réseaux sociaux jouent avec nos peines et nos luttes. Ainsi depuis le début de l’horreur, qu’elle n’a pas été mon effroi, de voir des connaissances partager des vidéos de propagandes pro-Israël et une influenceuse appelée “Shofar” entre autres, qui assimile tous les enfants de Gaza à des armes du Hamas, ou encore, raconte qu’Israël, n’a jamais occupé la Palestine. Pire encore, des masculinistes fascistes comme “Droitard 2.0” se glissent dans les feeds, avec des blagues sur l’exil palestinien. J’imagine que d’autres personnes, suivant la démence d’autres algorithmes, ont dû voir avec consternation des personnes légitimer les actes du Hamas, au nom de la libération de la Palestine.

Cesser cette dichotomie “bien-mal”

Selon ces “penseur.se.s” nous serions dans une guerre religieuse mais aussi de « civilisations » comme l’a clamé Michel Onfray à Sonia Mabrouk sur Europe 1 (radio de Bolloré, toujours). Il faut désormais, selon le philosophe, s’opposer à 57 pays arabes qui menacent nos démocraties. (Vous avez bien lu)

La binarité « Bien-Mal » ou « barbares-civilisés », qu’analyse un article paru dans le très bon dossier du Monde diplomatique sur la question (Israël-Palestine, l’embrasement, et après?) est la grande ritournelle infâme de nos démocraties. Cette opposition entre des pays civilisés et les autres, s’est particulièrement accélérée depuis les attentats de 2015. Notre quête de laïcité s’est progressivement réduite à être des chasseurs de terroristes, et par raccourci raciste, de tout signe musulman. Nous, le fameux pays des droits de l’homme, face à l’obscurantisme. Nos États aiment se vanter d’être du bon côté, face aux démons. Cette binarité a d’ailleurs été utilisée par Benyamin Netanyahou lui-même. Le premier ministre d’extrême droite d’Israël, et Président du Likoud, a très vite appelé à la distinction entre Israël - le pays « de la lumière » et de la civilité face au « peuple des ténèbres ». Et au nom d’un ennemi commun, voilà que nous nous somme alliés à un gouvernement suprémaciste.

Dans cette fable que l’on nous a demandé d’ingérer, Israël est une belle démocratie. Plutôt déroutant, quand on sait que depuis 75 ans, ses gouvernants colonisent agressivement les territoires Palestiniens, asphyxient des populations de leur emprise militaire, emprisonnent des enfants, commettent des crimes de guerres atroces, et que tout cela s’est accéléré, depuis la réélection de Netanyahou.  Fin 2022 Amnesty International déclarait : « Les autorités israéliennes ont continué d’imposer à la population palestinienne en Israël et dans les territoires occupés un régime oppressif et discriminatoire qui constituait un système d’apartheid, crime inscrit dans le droit international. (…) Le rapport à lire dans son entièreté sur leur site, liste les horreurs perpétrées par ce gouvernement en un an : offensives diverses, tortures, destruction de villages, restriction des droits et déplacements à Gaza…. Tandis que l’organisation Médecins Sans Frontières écrivait ceci : « Les populations palestiniennes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, sont soumises à la pression constante de la colonisation, à la répression sanglante de l’armée israélienne ainsi qu'à la détérioration progressive de leurs conditions de vie, dont un accès aux soins extrêmement limité. »

Dans cette même fable : nous, la France et les États-Unis, sommes de gentils alliés civilisés. Déroutant, encore, quand on sait que les États-Unis ont eux-mêmes appelé à massacrer plusieurs populations dans le passé (Cf l’Irak, et le Vietnam) au nom de la “légitime défense”.

Et que la France, qui se clame irréprochable, nie de fait, les nombreux.se.s cadavres enfoui.e.s dans les décombres de son passé colonial. Et attention, je ne dis pas là que nous devrions excuser le terrorisme. Mais parler de terrorisme sans regarder notre rôle dans le cycle de la violence, comme le dit Judith Butler dans l’article baptisé “Condamner la violence” dans AOC Média, sans regarder notre propre barbarie depuis des siècles, nos propres meurtres, notre propre domination, les oppressions multiples subies par des populations en notre nom, revient à continuer à alimenter la machine de la brutalité, dont nous payons un prix élevé.

Raphaël Enthoven and cie, refusent de contextualiser la violence du Hamas, en émettant l’idée, qu’il s’agirait ainsi de l’excuser. Mais à quoi sert de traiter d’un sujet partiellement, à part à créer des raccourcis dangereux ? « Je condamne les violences commises par le Hamas, je les condamne sans la moindre réserve. Le Hamas a commis un massacre terrifiant et révoltant » écrit Judith Butler toujours dans AOC Média avant d’ajouter qu’« il serait étrange de s’opposer à quelque chose sans comprendre de quoi il s’agit. »

« Aux racines de la violence, il y a l’oppression » assène un communiqué datant du 7 octobre, de l’organisation « Jewish For Peace » - grande organisation de militant.e.s pour la paix, qui s’oppose à la complicité des États-Unis dans le génocide en cours, et  rappelle à la face du monde, comment leur pays a financé depuis des années, les crimes perpétrés en Palestine.

Déconstruire le prisme occidental

Quand va t-on comprendre qu’en Occident, l’angle de vue n’est pas le bon? Même dans certains médias parfois plus “modérés” on semble tout mélanger. Mona Chollet, dans son excellent texte sur son blog La Méridienne, cite le chercheur franco-libanais Gilbert Achcar, qui explique comment la France et les Etats-Unis, ont tendance à voir Israël sous le prisme de la Shoah, là où partout ailleurs, il est majoritairement perçu sous l’angle du colonialisme.   « En dehors du monde occidental, on ne voit pas les Israéliens – je ne parle pas des juifs en général, mais bien des Israéliens – comme des héros ou des victimes, mais comme des colons, protagonistes d’un colonialisme de peuplement. Il faut donc sortir un peu de cette vision occidentale et essayer de voir les choses comme les autres peuvent les voir – ces autres qui sont la majorité de la planète.”Même constat, chez Rima Hassan, palestinienne et Fondatrice de l’Observatoire des réfugiés, dans le journal l’Humanité : « Le récit proposé est celui d’un conflit symétrique entre Israël et la Palestine. L’analyse omet de nous resituer, nous, Palestiniens, dans notre condition de sujets colonisés, dominés. Il faut sortir de ce paradigme de la symétrie. Le projet israélien repose historiquement sur la colonisation et le nettoyage ethnique des Palestiniens.».

« On ne s’oppose pas entre Juifs et Musulmans, on s’oppose entre colonialistes, et anticolonialistes. » A martelé la penseuse Fatima Ouassak, essayiste, conférencière, consultante en politiques publiques, et militante écologiste, féministe et antiraciste française.

Ce que ne supporte pas une grande partie de la France réactionnaire, c’est que les militant.e.s pour la paix, vont appuyer là où ça fait mal : ielles reviennent à la genèse, et aux responsabilités de l’Occident dans ce désastre. Or comme le dit Mona Chollet toujours, il y a dans notre pays un « refoulé colonial »Une vidéo du compte Instagram « Histoire crépues », la chaîne Youtube qui déconstruit l’histoire coloniale, a beaucoup tourné. Elle rappelle qu’Israël a été conçue dans le cadre de la domination coloniale européenne, élément crucial mais inexistant, dans les contenus médiatiques circulant sur le sujet. Le Sylvain Cypel, journaliste pour l'hebdo le 1, auteur de L'État d'Israël contre les Juifs (La Découverte, 2020) dénonce aussi cette grande absence dans Arrêts sur Images. “La musique qu’on entend, ne tient pas compte de l’aspect colonial.”

Et à partir de là, la place des méchants et des gentils, est bien plus floue.

Les militant.e.s pour la paix mettent le désordre dans le grand storytelling de nos dirigeants. Ielles veulent y inclure de nouveaux chapitres qui invalident les thèses principales, et qui descendent nos puissances mondiales de leur piédestal pour mieux scander ceci : vous ne valez pas mieux que les terroristes que vous prétendez pourchasser, au nom de notre sécurité.

La sécurité et la paix pour qui ? La justice pour qui ? Quelle légitime défense ? Interroge l’auteur américain Ta-Nehisi Coates sur la plateforme progressiste Democracy Now.

« J’entends sans cesse ces termes répétés, encore et encore : le droit à la légitime défense. Mais qu’en est-il du droit à la dignité ? Du droit à la moralité ? Du droit d’être en sécurité dans son lit et de dormir la nuit ? Parce la seule chose que je sais aujourd’hui, c’est que si j’étais complice – et je suis complice - de bombarder des enfants, des camps de réfugiés, sans savoir qui sera touché, je n’arriverais pas à en dormir de la nuit.  Et je m’inquiète de l’âme des personnes qui arrive à décider cela, et à dormir paisiblement. »

Les activistes progressistes remettent les pendules à l’heure, en opposant à la binarité, un schéma plus grand, complexe, dans lequel tout le monde doit se remettre en question. Ielles affirment des réalités enfouies sous des montagnes d’opinions putrides.

Les crimes du 7 octobre ont été perpétrés par des terroristes, rappelent-ielles. Tout comme les crimes envers la population gazaouie ont été perpétré par des suprémacistes d’extrême droite. Il ne faudra compter sur aucun d’entre eux, pour fonder une démocratie, assènent en substrat Kaoutar Harchi et Joseph Andras dans le très bon article “Un nettoyage ethnique en Palestine” de Frustration Magazine.

Le Hamas n’a rien à voir avec le désir des Palestinien.ne.s de vivre une existence libre et dans la paix – avant le 7 octobre, certain.e.s d’entre elleux, avaient manifesté contre le Hamas et 50 % d’entre elleux, selon Frustration Magazine, considèrent que le Hamas n’est pas à même de les représenter. Ielles vivent une double occupation : d’Israël, et d’un parti terroriste qui a su embrigader une partie de la population trop longtemps oubliée, que l’on a réduit à la misère, à l’exil, à l’emprisonnement, et à l’humiliation. C’est ce qu’explique Asmaa Alghoul, féministe gazaouie, dans son livre L’insoumise de Gaza (Calmann-Levy). Il est absolument tragique que cette grande cause qui est la liberté de la Palestine soit mise en lumière dans ces circonstances et rangée derrière des crimes atroces. Les terroristes ne représentent en rien ce mouvement. Ainsi Rima Hassan, déplorait dans Mediapart, cette terrible association : « Il est inconcevable de confisquer une souffrance palestinienne vieille de 75 ans avec la récupération qui est faite aujourd’hui par le Hamas. »

Sauver la cause palestinienne

Je suis de plus en plus abasourdie, par la pauvreté du débat en France et entre autre, par cette criminalisation constante de la cause palestinienne.

Avant d’être autrice j’ai été grande reporter. J’ai couvert les stigmates de l’Apartheid en Afrique du sud, de la colonisation en Algérie, ou encore la crise des réfugiés syriens au Liban, qui m’a mené dans un camp palestinien. J’ai rencontré beaucoup de militant.e.s pour la liberté et la paix à travers le monde. Pour moi et comme pour des millions d’autres personnes, la cause palestinienne est une lutte pour la liberté, fondamentale comme les autres qui a toujours été soutenue par de grandes personnalités engagées comme Nelson Mandela, ou Angela Davis.

“Free palestine” est un hymne universel qui se dissocie du Hamas. C’est un slogan dans lequel il faut entendre le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, pour mieux enrayer la violence, les crimes de guerre, et le terrorisme.

Et je me souviens d’une phrase prononcée par Angela Davis dans la revue Ballast, en 2015 :

« Tout comme le combat contre le régime d’Apartheid en Afrique du Sud a fini par devenir une des préoccupations premières d’une grande majorité des mouvements de lutte pour la justice dans le monde, la question palestinienne doit devenir la priorité de tous les mouvements progressistes aujourd’hui. On a eu tendance à considérer la Palestine comme une question à part et, malheureusement, souvent marginale. Le moment est venu d’encourager tous ceux qui croient en l’égalité et la justice à se joindre à la lutte pour libérer la Palestine.”

On a beaucoup reproché aux progressistes, comme le dit Naomi Klein dans un texte pour la plateforme progressiste « Democracy Now » de ne pas assez parler des otages et de ne pas assez exposer, l’horreur vécue par les civils israéliens, et la dangerosité du Hamas.

Pourtant la sécurité des otages et des Israéliens, fait partie intégrante de cette lutte.

Naomi Klein le résume ainsi : nous appelons à un Cessez-Le-feu car c’est une action concrète pour enrayer le cercle de la violence et éviter des vies sacrifiées car nous nous ne pouvons malheureusement plus agir sur les actes horrifiques perpétrés par le Hamas. Nous faisons pression là où nous le pouvons ; en demandant que nos gouvernements condamnent aussi les actes de Netanyahou, mais nous le faisons, pour tous les civil.e.s ; pour que les otages israélien.ne.s, les civils gazaoui.e.s, pour que tout le monde puisse sortir de cette grande machine à laver meurtrière.

Si les défenseur.ses.s de la cause palestinienne veulent un cessez-le-feu, si ielles veulent aussi remettre en question la politique d’Israël, c’est pour établir une paix qui est profitable à tout le monde. Comment imaginer que massacrer une population, va apporter plus de sécurité aux otages ? Que tuer des enfants par milliers, va en ramener d’autres ? Comment ne pas voir que la politique de Netanyahou a elle-même mené à mettre en danger, les civils israéliens ? Nombre d’israëlien.ne.s demandent sa démission ces jours derniers, et parmi elleux, des familles d’otages. 86% d’entre elleux estiment que Netanyahou a une responsabilité écrasante dans le drame, selon le papier de Frustration Magazine signé par Kaoutar Harchi et Joseph Andras.

Il n’y a bien qu’en France où l’on défend cet extrémiste aujourd’hui.

Empêcher l’instrumentalisation de l’antisémitisme.

Taxer les militant.e.s de gauche d’antisémites, est une tactique qui remonte à loin. Le Monde Diplomatique en 2019, montrait comment en Angleterre, les détrateur.ice.s du travailliste Jeremy Corbyn ont utilisé ce procédé pour le mettre hors-jeu, car ce dernier s’était exprimé en faveur de la libération de la Palestine.

Un article plus récent du journal progressiste américain The Nation, passionnant, raconte comment, grâce au truchement de la désinformation, la droite américaine s’emploie à abîmer le slogan « Free Palestine », en laissant traîner des suspicions d’antisémitisme, pour mieux défendre Israël dans son programme militaire génocidaire. Ielles sont ainsi parvenus à faire croire que de jeunes étudiants de l’UCLA, engagé.e.s pour la cause palestinienne, criaient : « Pour le génocide des juifs ! » à une manifestation, alors que le chant, qui s’adressait à Benyamin Netanyahou disait en vérité  : « Nous t’accusons de génocide. »

Nous basculons dans un monde « miroir » comme l’a décrit Naomi Klein dans son dernier livre, où les étudiant.e.s qui se battent contre les bombes sur des camps de réfugiés, sont taxé.e.s de « nazis » Et il n’y a pas que la droit et l’extrême droite, en vérité, qui sabote la cause : l’administration Biden a été jusqu’à comparer les manifestants pour un Cessez-Le-feu, aux fascistes violents qui ont protesté à Charlottesville…

« Non, les mouvements de gauche ne sont pas antisémites ! » Rappelle le journal The Nation. « Au contraire, ils combattent l’antisémitisme, le fascisme, et toute forme de racisme. »

Cela dit, le cas français est assez différent des États-Unis, puisque les mouvements progressistes féministes et antiracistes comme les partis de gauche (qui les représentent plus ou moins) ont, c’est vrai, souvent oublié l’antisémitisme dans leurs grands chevaux de bataille. L’islamophobie primaire et affichée, de la majorité des politiques de droite et d’extrême droite français, a poussé les progressistes à se battre essentiellement contre la binarité “barbares-civilisés” et à s’attaquer aux discours anti-musulmans et racistes. De ce fait, l’antisémitisme est souvent passé à la trappe, et la seule chose constructive qui peut naître de cette horreur, c’est que cela débouche sur un débat sur la question au sein de la gauche et des courants antiracistes. La penseuse Illana Weizman, a lancé le débat, brillamment, avec son livre Des blancs comme les autres? chez Stock. La question est d’autant plus urgente, qu’on le voit partout : les actes antisémites se multiplient en France, mettant en danger des vies, et réveillant les pires traumatismes.

A nous de nous emparer, et de faire comprendre qu’un monde des ET est possible, où l’on se bat ET contre le racisme ET contre l’antisémitisme, ET contre la colonisation, ET pour la paix de toutes les populations.

Mais attention: la prétendue lutte contre l’antisémitisme, menée désormais par la droite et l’extrême droite, est tout sauf progressiste : elle ne sert qu’à tenter d’aspirer plus d’électorat, et créer un front contre les musulmans. Sinon, comment expliquez vous que le RN, parti historiquement négationniste, se pointe à un rassemblement contre l’antisémitisme?

« Attention à l’antisémitisme et à son instrumentalisation » Prévenait un communiqué du Tsedek ! dont je vous laisse lire le contenu sur leur Instagram.

Ces accusations d’antisémitisme, sont d’autant plus ridicules qu’une grande partie des militant.es pour la paix et la liberté de la Palestine… sont juif.ve.s.

Il existe de nombreuses organisations juives pour la libération de la Palestine, et elles ont été particulièrement visibles et actives, ce mois passé. L’organisation Jewish For Peace, que j’évoquais plus haut, compte 949 000 Followers et a orchestré de multiples sit-in. Elle a appelé à envahir massivement des lieux clés comme le Congrès depuis qu’’Israël a commencé à bombarder Gaza, pour scander « Not In My Name » Non, disent ces citoyen.ne.s de toutes les générations : ielles ne veulent pas qu’un génocide soit perpétré au nom d’une communauté qui ne sait que trop bien, ce que cela signifie. Rosalind Petchesky, une professeure de 81 ans, s’est faite arrêter alors qu’elle manifestait à Grand Central à New York le 27 octobre pour un le Cessez-Le-Feu à Gaza, ainsi que 400 autres personnes, parmi lesquelles des acteur.ice.s, rabbins, militant.e.s pacifistes de toutes origines, dixit « Democracy Now ».

Ce mouvement ne se cantonne pas aux États-Unis. Je cite les propos récents de l’historien italien Enzo Traverso dans Mediapart : « Une guerre génocidaire menée au nom de la mémoire de l’Holocauste ne peut qu’offenser et discréditer cette mémoire. » En France Tsedek !, collectif juif décolonial, a signé une tribune dans Libération intitulée. « Frappes sur Gaza, vous n’aurez pas le silence des juifs de France » aux côtés de 85 personnalités juives, et se bat pour montrer que l’on peut et vouloir la libération de Gaza, et se battre contre l’antisémitisme.

Ces milliers de voix dans le monde, prouvent que l’engagement pour un Cessez-Le-feu à Gaza et pour la libération de la Palestine, n’est pas lié à une religion, et n’est certainement pas antisémite, mais qu’il s’agit d’un idéal politique contre la colonisation et la domination.

Si je cite dans ce paragraphe le travail de collectifs juifs pour la paix, c’est pour montrer l’imbécilité de la logique de celleux qui taxent ces mouvements d’antisémites. Mais bien entendu, les palestiniens pour la paix, que j’ai cité dans ce papier, combattent elleux aussi, toute forme d’antisémitisme:

« Il faut être capable d’expliquer que notre lutte est une lutte de libération nationale mais qu’elle n’est pas, qu’elle n’a jamais été contre les juifs. » a clamé Moustapha Barghouti, figure de la résistance palestinienne, cité dans l’article de Frustration Magazine.

Il y a des raccourcis, qu’il faut éviter.

Ainsi, il faut bien faire attention à dissocier le sionisme du judaïsme. On peut critiquer le sionisme sans être antisémite. Historiquement il faut rappeler, comme l’évoque le journal Révolution permanente, que le sionisme a toujours été remis en cause par les plus grand.e.s révolutionnaires juif.ve.s comme Rosa Luxembourg. Nombre de juif.ve.s socialistes, surtout dans les partis ouvriers, étaient antisionistes, y percevant le début d’un cycle de violence sans fin. La création de l’État d’Israël, rappelons-le, a eu pour conséquence l’exil de 750 000 Palestinien.ne.s en 1948 – ce que l’on a appellé la « Nakba ». Les Palestinien.ne.s ont vu leurs maisons, leurs foyers, leur êtres confisqués, et la promesse qui leur a été formulée par les Nations Unies, d’un retour à la terre et des compensations, n’a jamais été tenue par les États-Unis et Israël. Dès 1967, Israël a occupé les territoires palestiniens en les mettant sous son joug militaire. Israël a progressivement détruit la Palestine, et poussé à l’exil des millions de personne avant de chercher aujourd’hui, à éradiquer cette même population de la carte.

Toutefois les militant.e.s actuel.le.s ne désirent pas la destruction d’Israël, ni l’exil de milliers de personnes (quel sens cela aurait ?) mais une solution de paix et la fin de la colonisation agressive. Ghada Karmi, autrice et militante palestinienne socialiste, propose « un État Israël-Palestine » et invite à la mise en place, par étapes « d’un système de droits égaux, fondé sur un respect mutuel des besoins de tous les citoyens. » Pour Rima Hassan dans l’Humanité. « La seule solution viable est un État binational démocratique et laïc. Certain.e.s, voient plutôt deux Etats: il n’y a pas de réponse, mais une base de réflexion. Et si je diffuse ces informations sachez que je n’ai moi-même, aucun avis sur le sujet.

« Nous choisissons la libération collective. » Mentionne le Manifeste de Jewish For Peace. « Nous choisissons un futur où tout le monde, israéliens et Palestiniens, puissent vivre leurs vies librement dans des communautés vibrantes, sécurisées, égalitaires, et ayant accès aux droits fondamentaux. »

Et bien entendu, il y a des antisionistes extrémistes, et antisémites, comme il y a des extrémistes pro-Israël, mais ielles ne font pas partie de ces luttes progressistes.

Prendre la parole

La bonne nouvelle c’est que ce storytelling frelaté, s’effondre peu à peu grâce aux citoyen.ne.s, aux réseaux sociaux, aux sources partagées. Ces médias numériques sont décidément capables du meilleur comme du pire. On a aussi vu un élan de solidarité informationnel s’élever – des militant.e.s s’échanger des infos, des poèmes, des articles, des podcasts, des livres, avec avidité, pour contrer le discours politique et médiatique.

Beaucoup de personnes de droite et des extrêmes, intimident les militant.e.s pour la paix, en remettant en question leur légitimité. Outre être antisémites, ou pro-Hamas, nous n’aurions pas le droit de parler, car nous ne serions pas suffisamment connaisseur.se.s, du sujet. Sachant que la majorité des invit.é.e. sur les plateaux, citent des vidéos de propagande comme seules sources sérieuses, je crois qu’à ce stade, tout le monde peut se prévaloir d’un Doctorat en géopolitique.

Je ne suis pas experte du conflit, mais je sais reconnaître quand ce qui se passe, est amoral. Je peux croiser des sources, fiables, diffuser des penseur.se.s sérieux.se.s et éclairé.e.s, pour contrebalancer la désinformation ambiante. En tant que journaliste et autrice, et en tant que citoyenne engagée pour la justice sociale, j’estime même que c’est mon devoir.

Nous sommes face à une guerre de l’information et de la manipulation. L’instrumentalisation et la haine face à la vérité, et le désir de justice. Notre silence laisse le pire proliférer.

Aussi ne nous trompons pas d’ennemi.

Les ennemi.e.s, ce sont celleux qui tuent, qui sont complices de meurtres, celleux qui instrumentalisent la douleur, pour faire grimper l’antisémitisme, et l’islamophobie.

Quelles que soient nos empathies, nos origines, nos religions, quelles que soient nos peines, si nous sommes poussé.e.s aujourd’hui vers la haine, nous pouvons aussi la déjouer. Nos partis politiques, nos médias, nos algorithmes, nous entraînent vers les recoins les plus sombres de l’Humanité, où toute logique est renversée. Nous sommes invité.e.s sans cesse, à nous ériger les un.e.s contre les autres, à nous noyer dans des fictions putrides et irrationnelles.

Mais nous pouvons relever la tête, ensemble, en nous unissant, et en érigeant d’autres récits.

Quelques sources que je complèterai :

Mediapart. « Nous subissons une punition collective » Interview de Rima Hassan

Mediapart “On ne répare pas un crime par une injustice.” Edwy Plenel.

L’Humanité “Israël-Palestine : « La solution, c’est un État binational démocratique et laïc » estime Rima Hassan”

AOC média « Condamner la violence » Judith Butler.

La Méridienne Mona Chollet « Le conflit qui rend fou »

Politis « Si un propos antisémite est tenu, il importe de le combattre » Kaoutar Harchi  

Frustration Magazine : Un nettoyage ethnique en Palestine, Kaoutar Harchi et Joseph andras

Révolution permanente : Palestine : jusqu’où ira la surenchère islamophobe dans les médias ?

et : Brèves histoire des juives antisionistes, Nathaniel Flakin

Revue Ballast « Nos luttes mûrissent, grandissent. » Angela Davis

Le Monde Diplomatique – Dossier Israël-Palestine – L’embrasement, et après ? et Antisémitisme, l’arme fatale.

Arrêts sur Image “La musique qu’on entend, ne tient pas compte de l’aspect colonial.”

Livres :

L’insoumise de Gaza - Asmaa Alghoul

La terre nous est étroite, Mahmoud Darwich

Return – A Palestinian Memoir, Ghada Kharmi

Tous les ouvrages de Kaoutar Harchi

Illana Weizman « Les juifs, des blancs comme les autres ? » (Stock

Fatima Ouassak « Pour une écologie pirate » et “La puissance des Mères” (La Découverte)

Rashid Khalidi “Hundred Year’s War on Palestine

Médias :

Le Monde Diplomatique

Médiapart

Arrêt sur Images

Politis

Blast

Ballast

Révolution permanente

Frustration Magazine

L’Humanité

Novaramedia

Democracy Now

The Nation

Film:

Born In Gaza de Hernan Zin sur Netflix

Histoire de l’antisémitisme sur Arte

HyperNormalization d’Adam Curtis en streaming

Les débats de C Ce soir

A suivre sur Instagram :

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